De plus en plus de projets sectaires utilisent Internet pour effectuer le recrutement de leurs adhérents. Cette manière de procéder possède des avantages indéniables par rapport à une approche plus conventionnelle. D'abord, les coûts sont négligeables. Ensuite, la mise en place d'outils spécifiques, comme les forums de discussions, ne nécessite aucune compétence informatique. Des logiciels libres de droit offrent gratuitement ces prestations. Il suffit de les télécharger et de les installer chez un hébergeur. Le projet de recrutement est ainsi opérationnel en quelques heures.

De plus sur Internet, le gourou n'a pas à divulguer ses informations personnelles. Un nom d'emprunt ou un simple pseudonyme suffit.

Pourtant, cette approche virtuelle comporte un inconvénient majeur. Comment en effet mesurer la motivation des futurs adhérents avant de passer à l'épreuve de la réalité ?

L'épreuve de la réalité

Afin que leur entreprise soit couronnée de succès, les futurs gourous se voient donc dans l'obligation d'effectuer certains éclaircissements avec les personnes intéressées. Cette phase de sélection se déroule par courriel, salon de discussion virtuel avec ou sans vidéo, ou vidéoconférence lorsque plus de deux personnes sont impliquées.

Entre guillemets, se trouvent les réflexions du Maître à penser et fondateur de la thérapie libératrice appelée tout simplement «Amour Naturel». Il répond aux questions d'un adhérent potentiel.

« Les problèmes commencent habituellement lorsque le dialogue cesse. »

Continuons donc le dialogue cher Maître. Je partage entièrement votre point de vue au sujet de la négociation, pour les exemples que vous citez sur votre forum de discussion :

« Si je plante des carottes, je n'ai pas le temps de faire la confiture, alors qui va la faire ? Négociation. Ce local, je pense en faire une salle de bains pour faciliter la vie de l'étage, mais alors, je ne peux plus créer une chambre d'hôtes.... Négociation. Je ne veux pas d'animaux dans la propriété, car ils supposent des engagements que quelqu'un devra assumer, et je n'y crois pas. Jacques propose de recréer un poulailler pour avoir des œufs chaque jour. Négociation. Les ronces envahissent tous les abords des maisons, rendent les murs inaccessibles, au point que je souhaite les détruire... Mireille propose de les garder pour les mûres, et de les incorporer au décor. Négociation. »

Par contre, je ne pense pas que ce type de solution puisse s'appliquer à votre théorie de l'amour naturel. D'une part, ce concept n'est pas aussi simple à expliquer qu'un poulailler : la preuve c'est que vous avez écrit sur votre site douze pages à son sujet.

De plus, si j'interprète bien ce que vous dites, l'amour naturel est une thérapie qui concerne à peu près tout le monde.

« Redécouvrir et réapprendre l'amour naturel est une thérapie. »

« La thérapie, c'est apporter du soin à un organisme blessé. C'est déjà accepter de reconnaître qu'on a été blessé. Nous avons tout été blessés par la vie, la famille, la société et les privations d'amour. »

L’amour naturel sera donc la préoccupation principale (contrairement au poulailler) des participants de vos stages de rééducation amoureuse. Par ailleurs, si je me réfère aux conseils que vous dispensez généreusement sur la toile, cette thérapie de développement personnel nécessite une intervention extérieure. La découverte de l'amour naturel, passe par « une aide extérieure  » et nécessite de « se mettre en état de réapprendre l'amour », ce qui  « suppose un thérapeute... qui ne soit pas neutre et qui ait parcouru lui-même le chemin  ».

«  La thérapie, c'est ton développement personnel, mais avec une aide extérieure, avec donc un référent thérapeutique, et des moments de thérapie fixés et définis dans le temps. »

La communauté

Le but à atteindre (l'amour naturel), nécessite donc un cadre expérimental (la communauté), une thérapie, un ou des thérapeutes avec des techniques spécifiques.

Première constatation :

Dès le départ cette communauté est composée de personnes initiées (une minorité), qui savent ce qu'est l'amour naturel et d'autres (une majorité) qui doivent encore l'apprendre.

Première difficulté :

Quels sont les critères qui permettent de vérifier que le but de l'amour naturel a été atteint ?

Car sans cette connaissance, il est bien évidemment :

1. Impossible de savoir si l'on a atteint l'amour naturel, donc impossible de transmettre ce savoir.
2. Impossible pour celui qui le reçoit de savoir si celui qui le transmet le sait vraiment.

Autre problème :

Que faire avec ceux qui ne désirent pas atteindre l'amour naturel (le but de votre projet communautaire) car ils pensent le détenir déjà, ou encore avec ceux qui ne se sentent tout simplement pas concernés par le sujet ?

Premier dilemme :

Comment répondre à la question énoncée ci-dessus sans contredire la profession de foi affichée sur votre site.

Le projet consiste à « vivre ensemble dans le respect de la liberté de chacun » et « accepter les autres tels qu'ils sont  ».

Soit nous acceptons, au nom de la liberté de chacun, plusieurs interprétations de l'amour naturel et alors tout l'édifice de l'amour naturel, tel que vous l’avez présenté, s'effondre naturellement ; soit nous refusons cette diversité et alors la liberté de chacun n'est plus respectée. Pour échapper à ce dilemme, les adhérents non initiés doivent se résoudre à considérer la thérapie comme une étape nécessaire, afin de mettre tout le monde sur le même pied d'égalité. Sans oublier les contraintes qui vont avec : « Le travail se déroulera donc d'abord sur le corps, détenteur premier des blocages, mais aussi sur le mental, sur la prise de conscience d'une manière de vivre qu'il devient nécessaire de corriger. »

Contradiction :

Paradoxalement le participant doit se soumettre à une autorité et «  accepter de refaire son éducation » alors que le but final est justement la libération de la contrainte et de l'autorité. Soigner le mal par le mal.

Répétition du dilemme :

Si le participant refuse de se soumettre à l’enseignement dispensé et à son lot de contraintes, il conservera sa liberté mais ne connaîtra pas le but recherché ; ce qui le maintiendra dans une situation d'infériorité par rapport aux autres adhérents.

S'il accepte de s'initier à l'enseignement de son maître spirituel, il doit alors admettre cette ingérence dans sa vie privée et donc renoncer à sa liberté.

Malgré ces incohérences, on ne doit pas forcément conclure que le maître spirituel que vous prétendez être n'est pas éclairé, et que ses solutions ne marchent pas.

Références

Il y a également d'autres critères pour évaluer la compétence d'un thérapeute.

Quelles sont ses références professionnelles ?
Quelles formations a-t-il suivies ?
Quels sont les avis de ses collègues ?
Quels sont les échos de sa clientèle ?

Impossible de trouver une réponse transparente à toutes ces questions sur votre site, si ce n'est que vous vous présentez comme un « rat des champs aux mille facettes », ayant pris une retraite anticipée « après une longue carrière industrielle », pour vous consacrer à ce projet communautaire.

Le credo d'un Maître en thérapie est bien cité, mais bizarrement son nom n'est pas mentionné. Par recoupement d’information, il semblerait qu’il ait œuvré dans la communauté controversée « Noire Eau » pratiquant « l'orgasmothérapie ».

Le gourou de « Noire Eau », un ancien prêtre défroqué, fut dénoncé par une adolescente et une fillette âgée de moins de dix ans, victimes de ses pratiques sexuelles déviantes.

Une autre interrogation se pose donc :

Quelle est votre position par rapport à ce mouvement, dont vous étiez apparemment un membre assidu ?

Cette communauté a cessé son activité suite à une action judiciaire. Je crois qu'aucun participant à votre projet ne souhaite avoir des démêlés avec la justice.

Quels sont donc les garanties que votre projet ne va pas réactualiser l'agenda interrompu de cette secte ?

Quelques urgents éclaircissements aux participants semblent nécessaires, avant de passer à l'épreuve de la réalité.