«Quand les abus sont accueillis par la soumission, bientôt la puissance usurpatrice les érige en lois.» Chrétien-Guillaume de Lamoignon de Malesherbes

Une conséquence pernicieuse de l’acceptation de l’abus de la part de la victime est d’induire chez l’abuseur l’idée de la légitimité de son acte. Il parvient ainsi à créer un état où l’abus est intégré par la victime comme une juste sanction. Cela explique que les victimes d’abus sont capables de rester très longtemps dans des situations où elles sont maltraitées physiquement et (ou) psychologiquement.

Bien  que la « normalité » imposée par la personne abusive est factice, la victime finit par accepter cette distorsion de la réalité. La faculté de raisonnement de la victime est alors fortement entamée, à tel point que l’état de confusion produit ne fait que se renforcer. Sans compter que le lien émotionnel de l’abuseur avec sa victime, légitime non seulement ce genre de rapport de force, mais conditionne de plus la victime à vivre avec. Cela s’explique d’une part par la capacité d’adaptation assez extraordinaire de l’être humain. De telle manière que la plupart des individus mis dans un contexte assez inconfortable finissent par s’y plier de bonne grâce. D’autre part, il existe aussi la satisfaction d’être pris en charge par quelqu’un qui ne vit pas dans le doute. Qui a donc des réponses toutes faites aux défis de l’existence.

Cette complémentarité naturelle entre un individu tout tourné vers l’extériorisation de soi, par ailleurs de manière brutale, et un partenaire sensible et introverti fait que le second est bien plus disposé à être dévoué à la cause du premier que le contraire.

Plusieurs points communs ressortent des récits de personnes prises dans des relations abusives.

Culpabilisation

Ces personnes doutent de leurs propres capacités et se culpabilisent facilement, s’attribuant en grande partie la responsabilité d’une relation très conflictuelle. Elles minimisent la violence dont elles sont victimes, que ce soit physique ou psychologique. La violence psychologique étant plus facilement dissimulable, elles sont inconscientes de l’interaction abusive qui se déroule sous leurs yeux. Elles sont par ailleurs incapables de faire le lien rationnel entre les déclarations ou les comportements pathologiques de la personne abusive et la malveillance fondamentale qui en est la cause. En d’autres termes, les victimes ne se rendent pas compte que c’est une volonté de domination et de destruction qui anime leur conjoint.

Censure

Au contraire, les personnes abusives ne se prononcent jamais sur le caractère inapproprié de leur comportement et lorsqu’elles le font, obligées par les circonstances (ou la justice), elles se déresponsabilisent complètement de leurs agissements. Typiquement, ces personnes coupent tout dialogue et toute communication lorsqu’elles se sentent attaquées. Le moindre prétexte est suffisant pour déclencher une fin de non-recevoir, qui dans sa forme la moins violente se caractérise par une hostilité larvée et silencieuse, qui pèse comme une chape de plomb sur leur entourage. Cette forme de censure indique clairement les limites à ne pas franchir. Aucun problème ne peut jamais être débattu avec ces personnes, puisqu’elles considèrent parfaitement légitime de se comporter comme elles le font, sans avoir minimement besoin de se justifier.

Coercition

La personne abusive exerce une emprise coercitive. Elle tient le couteau par le manche. Typiquement, elle impose une interaction  à sens unique, profitant de la dépendance affective et (ou) économique de la victime. C’est-à-dire que la rupture n’est habituellement pas une alternative envisageable pour la personne abusée, bien qu’il lui arrive d’y penser. Elle risque cependant d’y laisser des plumes en raison de sa situation de dépendance économique, ou à cause de ses liens affectifs. Le rapport avec ses enfants risque par exemple d’être détruit ou fortement endommagé si elle cherche la séparation.

Espoir de changement mal placé

Psychologiquement la victime se sent ficelée. Elle est convaincue que seul son tortionnaire est capable de détendre l’atmosphère. Ses espoirs irréalistes se focalisent sur une possibilité de changement de son partenaire qui n’intervient jamais. Pourtant l’espoir subsiste car « il suffirait qu’il prenne conscience » pour que la situation se résolve d’elle-même. N’oublions pas que des sentiments sincères ont conduit la victime à vivre avec la personne abusive. C’est toujours au nom de ces valeurs, que la victime tient en grand respect, que l’attente de jours meilleurs subsiste.

Chantage et instrumentalisation

La personne abusive, constatant la dépendance affective de son conjoint utilise le levier de la menace de séparation ou du divorce pour maintenir son emprise. Elle est capable de rechercher activement la rupture si cela lui procure des avantages immédiats, ou si elle perçoit que son partenaire commence à se réveiller. 
La rupture préventive est une arme très puissante dans une situation familiale. La personne abusive met à exécution son plan d’exclusion, lorsqu’elle se sent menacée, ou qu’elle constate qu’elle est en train de perdre son influence.

Victimisation

La personne abusive est capable d’invoquer toutes sortes de prétextes pour justifier son attitude qui la conduit, dans la plupart des cas, à se servir de ses enfants pour punir son partenaire. Pour ce faire, elle continue volontiers sa bataille à couteaux tirés devant les tribunaux, où elle cherchera à se faire passer, elle et ses enfants, comme les victimes des mauvais traitements d’un conjoint abusif.

À la différence d’une vraie victime, la personne abusive recourt à la calomnie et aux faux témoignages pour arriver à ses fins. Les observateurs neutres sont souvent trompés en raison des accusations à fort impact émotionnel, bien que dépourvues d’indices probants. Malgré cela la personne abusive parvient à rallier à sa cause des intervenants peu scrupuleux ou incompétents.

Passivité

Face au sans-gêne et aux méthodes expéditives de la personne abusive, la victime reste souvent sans réaction, comme médusée et impuissante à agir. Elle a l’impression d’avoir affaire à un adversaire particulièrement redoutable, capable de lui faire payer chèrement la moindre velléité de sa part. Cette passivité finit par se retourner contre la victime, puisque on ne  parvient pas à saisir ses motivations profondes. « Il n’y a pas de fumée sans feu » et « elle doit y être pour quelque chose » sont alors les réflexions se rapportant à la victime, venant spontanément à l’esprit des observateurs, lorsqu’ils doivent faire la part des choses, entre les déclarations outrancières de la personne abusive, mais qui tapent dans le mille, et le flou ainsi que la retenue inexplicable de la victime incapable de verbaliser ce qu’elle a subi.

Sacrifice

L’image publique permet à la personne abusive d’occulter totalement la réalité familiale au point que ses dérèglements et ses dérapages deviennent le prix à payer de la parfaite « harmonie » affichée en société. C’est comme si la victime devait prendre sur elle, sur sa vie affective, le besoin viscéral de reconnaissance de son partenaire, qui finalement ne la concerne pas et qui s’effectue à travers son exclusion et son rabaissement continuel. 
La victime doit accepter tout ceci, sous le prétexte que ce qui est bon pour la personne abusive est obligatoirement bien pour elle (et les enfants). Il s’agit donc d’un renoncement à un droit fondamental (son bien être), que la victime accepte par amour et par dévouement, croyant à tort que son sacrifice sert une cause plus noble, comme les intérêts de la famille par exemple.

Effets de l’abus

Le travail d’introspection de la victime, qui est susceptible de la conduire à une prise de conscience, n’est généralement pas possible sans un élément détonateur qui constitue vraiment le levier du changement. 
Lorsque la violence est visible, une prise de conscience ou un regard extérieur mettent en évidence le caractère inadmissible du comportement de la personne abusive. 
Lorsqu’il s’agit de violence psychologique la tâche est plus compliquée, car les personnes abusées ne sont généralement pas conscientes, de ce qui se trame derrière leur dos. D’autant plus que les intentions malveillantes de la personne abusive sont totalement niées avec le plus grand aplomb.
Cependant la victime a la possibilité de constater les effets de la manipulation sur les autres membres de sa famille et notamment sur ses enfants. Lorsque la victime est ostracisée, mise à l’écart ou rejetée sans raison justifiable, elle constate de visu les effets de l’abus. Les conséquences des agissements d’une personne malveillante qui n’hésite pas, par exemple, à sacrifier les liens de ses propres enfants avec l’autre parent, afin de satisfaire un besoin de vengeance personnelle, sont rarement négligeables.

Le déclic se produit lorsque l’accumulation des indices, sans importance pris individuellement, permet de dresser un tableau exhaustif de la situation. L’effet d’un comportement, étayé par de nombreux exemples, se mesure alors avec toute la précision requise pour en tirer des conclusions irréfutables. 
À un certain moment là victime doit prendre le risque de dénoncer ce qu’elle perçoit comme profondément nocif, avec comme conséquence non seulement de se mettre sur le dos les personnes qui entretiennent la situation, mais d’être stigmatisée, au point que sa propre santé mentale est mise en doute, par les observateurs : « Circulez, il n’y a rien à voir. Tout est normal ! », « ce psychopathe nous harcèle et nous pourrit l’existence !»
Et finalement par elle-même : « Ne suis-je pas en train de devenir fou ? » 
C’est sans doute la peur du vide, de l’inconnu qui agit comme plus grande résistance au changement. 

Stigmatisation

La disqualification de la victime englobe sa personne, sa perception et sa pensée. C’est sa faculté de ressentir, de s’interroger et de raisonner qui est tuée dans l’œuf, par le discours paradoxal de la personne abusive. Paradoxal dans le sens que la réponse qu’il suscite conduit à une situation d’impasse, puisque aucun choix suggéré ne résoudra le conflit.
Par exemple, si la personne abusive décrète que l’autre parent est un danger pour ses enfants, sans en formuler la raison, le parent cible se perdra en conjectures en essayant d’adopter l’attitude juste —  qui est en réalité déjà la sienne, puisqu’il n’est pas violent !  — qui permettrait de solutionner ce problème. 
S’il accepte de se soumettre aux contraintes humiliantes du parent abusif, comme celles de voir ses enfants uniquement dans un cadre supervisé, il confirmera alors implicitement représenter une menace. 
Dans tous les cas, il ne pourra que s’en prendre à lui-même ne voyant pas la situation s’améliorer, malgré sa remise en question et son changement d’attitude. 
De toute manière, quoiqu’il fasse, il lui sera toujours reproché de ne pas être à la hauteur, compte tenu que son unique défaut est simplement d’exister. 
En effet, c’est sa seule présence qui pose problème au parent abusif.